Rencontre avec Camille Cordouan, qui nous raconte comment une suite de non-choix l’a conduite à un job qui n’avait plus de sens pour elle…
De la Défense au foot féminin : c’est pas tout droit, mais presque !
Fuir la Défense, une idée qui me trottait dans la tête depuis quelques années.
J’y ai mis pour la première fois les pieds voilà cinq ans. Moi, je viens du Sud Ouest. Au début, je vivais cet exil comme un mal nécessaire à une carrière prometteuse, une contrepartie à mes ambitions élevées. Elevées, forcément. Je venais à la capitale le front haut. Je cochais toutes les cases : ambition ok, énergie ok.
Et surtout, j’arrivais « au siège ».
Le siège, c’était le graal. Le saint des saints. Le lieu où des éminences grises prennent des décisions qui fabriquent le destin de la boîte, et, au vu de son envergure, du monde. Ca émoustille.
Quand on met un pied à la Défense, de préférence en RER, on est subjugué par le flot humain. Arrivant d’une ville où l’on considère qu’il y a un bouchon lorsque l’on met dix minutes à passer le rond-point de la rocade, je me fondais dans cette foule avec cette façon si particulière qu’ont les touristes et les provinciaux de suivre les flux à contre-courant. Je me sentais minuscule.
Minuscule aussi devant les têtes couronnées de l’entreprise qu’auparavant je ne voyais que dans des vidéos corporate qui saturaient notre intranet de filiale. Pendant cinq ans, je les ai côtoyés, observés, au quotidien. Cela permet de comprendre où est sa place.
La place, c’est la grande affaire du siège : chacun la sienne, déterminée par le diplôme. Toute une carrière dessinée par un titre obtenu avant l’âge de 25 ans. Les écoles parisiennes conféraient une intelligence supérieure à ceux qui en étaient issus, une carrière accélérée. Je ne m’attendais pas à cet environnement codifié, hiérarchisé en toute chose, à la longue, éreintant.
Une carrière comme une succession de non-choix
J’occupais un poste où je devais coordonner le déploiement de politiques internes dans des filiales disséminées un peu partout sur la planète. L’équipe était réduite, notre responsable pensait qu’avec trois cotons-tiges on pouvait construire cinq Tour Eiffel.
Je n’aimais ni ne détestais ce que je faisais. C’était le résultat de successions de non-choix, le premier remontait au lycée : bac scientifique pour m’ouvrir toutes les portes. Une fois ces dernières grandes ouvertes, viennent les études supérieures, raisonnables. Le premier boulot, conséquence des non-choix précédents. La carrière, enchaînement de ce qui précède.
Était-ce la mer à boire ? Nous sommes nombreux à ne pas fixer un verdict catégorique sur notre travail. C’est un équilibre entre ce qui pèse et ce qui plait.
Vient le jour où l’équilibre ce rompt, la peine l’emporte sur le plaisir. On ne réagit pas tout de suite. On tient. On sent la fatigue tout envahir. On tient. On se projette aux prochaines vacances. On se dit qu’on repartira du bon pied ensuite.
De l’usure en milieu corporate
Je me souviens parfaitement du déclic.
C’était à l’été 2016. Trois jours après mon retour de congés, j’étais dans le même état de fatigue qu’avant mon départ. J’ai compris que mon épuisement était mental, non physique. J’étais usée par mon environnement professionnel, usée par des pratiques et des comportements à l’encontre des valeurs brandies par la boîte, désabusée par l’omniprésence de discours corporate qui prennent les collaborateurs pour des attardés mentaux.
En cet été 2016, rien n’allait. J’avais commencé à écrire un roman fondé sur mes années d’expériences et d’observations en entreprise. J’avais le titre : « La jeune cadre dynamique qui voulait conquérir le monde », mais pas de fin. Celle que j’avais écrite, je l’avais jetée à la poubelle. Je ne voyais pas quoi faire de mon personnage principal, une jeune cadre qui se pose mille questions sur son avenir. Un suicide en mode « CAC40 m’a tuée » ? J’y ai pensé. L’option était peut-être un peu trop nihiliste.
Une discussion avec ma sœur m’a permis de rebondir. Un coach. C’est la mode en ce moment, il en fleurit de partout, qui n’ont que les mots reconversion et bienveillance à la bouche, qui vous promettent qu’au bout de trois séances, vous aurez percé le dessein qu’une puissance divine a tracé pour vous. Et qui finissent par vous laisser en rase campagne, vos interrogations intactes, votre portefeuille entamé. J’étais donc sceptique, mais ce coach était recommandé par ma sœur. Donc…
Le temps de se mettre à table
J’ai fait le chemin.
Et je souhaite que tous ceux qui se demandent ce qu’ils font là, à la Défense ou ailleurs, fassent le même. Soyons clairs : peu de personnes réussissent un virage à 180° en deux coups de cuillères à pot. Il existe tant de freins, endogènes, exogènes, à commencer par le plus évident : partir oui, mais pour faire quoi ?
Loin des discours culpabilisants type : « Ben ok, t’es pas heureux, mais réfléchis à ce que tu veux faire ! C’est pas compliqué ! », ce coach m’a aidée à tout poser sur la table. C’est le boxon au départ, mais lentement les choses se décantent. Comme les bons vins, cela prend du temps, il faut le savoir, être prêt à ramer. Et finalement, ce n’est pas désagréable de se placer au centre de toutes choses. Cela met dans un état d’esprit plus positif.
J’ai ainsi pu achever mon roman « La jeune cadre dynamique qui voulait conquérir le monde ». Il a été publié aux éditions Robert Laffont en avril dernier. Avec une fin plus optimiste qu’un hara-kiri du personnage principal. Vous qui aspirez à fuir la Défense, je crois que ce roman peut vous donner des clés.
De l’art de se consacrer à la dernière ligne de son CV
J’avais par ailleurs une passion inavouée pour le foot féminin. J’aimais, n’en faisais rien. Ce n’était que la toute dernière ligne de mon CV, écrite en police 7, pour laisser les hobbies à leur juste place. J’ai décidé d’y consacrer une part croissante de mon temps. A mon âge et à l’heure qu’il est, il est trop tard pour tenter une carrière de footballeuse professionnelle. Alors j’écris. J’écris sur le foot féminin, en particulier sur l’Olympique Lyonnais et ses (innombrables) victoires, j’écris mes humeurs et autres billets pour des sites qui conjuguent le ballon rond au féminin. Avec la Coupe du Monde qui se profile l’année prochaine, j’ai bien d’autres projets. On en parle quand vous voulez !
Le foot féminin est pour l’heure un morceau à part de ma vie professionnelle. Les deux coexistent, ne se rencontrent pas (encore). J’ai changé d’entreprise il y a quelques mois, étape intermédiaire indispensable pour peaufiner mon projet de carrière qui se consacrera au foot féminin et à son essor en France et dans le monde entier. Et ça me passionne à 10 000%.
Fuir la Défense est aisé, il suffit d’un coup de RER (hors jours de panne technique), de métro, tram ou transilien (hors grève).
Fuir durablement la Défense est sans doute plus ardu, si vous souhaitez tracer votre propre route, votre propre vie. Loin des choix de carrière par défaut, des changements de poste rasoirs, dont on prétend se réjouir.
Je suis pour ma part au milieu du gué : j’ai quitté la rive Courbevoie Puteaux Nanterre, devant moi se dessine un autre rivage, aux contours chaque jour plus nets. Nous sommes des milliers (des millions ?) à hésiter à se jeter à l’eau, ou à tremper un orteil avant de rebrousser chemin. Il faut plonger dans ce fleuve intranquille, s’accrocher. Terre en vue !
C’est pour tous ceux qui pourraient se décourager que je voulais partager mon expérience.
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La jeune cadre dynamique qui voulait conquérir le monde: https://www.amazon.fr/Jeune-Cadre-dynamique-voulait-conqu%C3%A9rir/dp/2221191412
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Camille : La jeune cadre dynamique qui voulait conquérir le monde
Rencontre avec Camille Cordouan, qui nous raconte comment une suite de non-choix l’a conduite à un job qui n’avait plus de sens pour elle…
De la Défense au foot féminin : c’est pas tout droit, mais presque !
Fuir la Défense, une idée qui me trottait dans la tête depuis quelques années.
J’y ai mis pour la première fois les pieds voilà cinq ans. Moi, je viens du Sud Ouest. Au début, je vivais cet exil comme un mal nécessaire à une carrière prometteuse, une contrepartie à mes ambitions élevées. Elevées, forcément. Je venais à la capitale le front haut. Je cochais toutes les cases : ambition ok, énergie ok.
Et surtout, j’arrivais « au siège ».
Le siège, c’était le graal. Le saint des saints. Le lieu où des éminences grises prennent des décisions qui fabriquent le destin de la boîte, et, au vu de son envergure, du monde. Ca émoustille.
Quand on met un pied à la Défense, de préférence en RER, on est subjugué par le flot humain. Arrivant d’une ville où l’on considère qu’il y a un bouchon lorsque l’on met dix minutes à passer le rond-point de la rocade, je me fondais dans cette foule avec cette façon si particulière qu’ont les touristes et les provinciaux de suivre les flux à contre-courant. Je me sentais minuscule.
Minuscule aussi devant les têtes couronnées de l’entreprise qu’auparavant je ne voyais que dans des vidéos corporate qui saturaient notre intranet de filiale. Pendant cinq ans, je les ai côtoyés, observés, au quotidien. Cela permet de comprendre où est sa place.
La place, c’est la grande affaire du siège : chacun la sienne, déterminée par le diplôme. Toute une carrière dessinée par un titre obtenu avant l’âge de 25 ans. Les écoles parisiennes conféraient une intelligence supérieure à ceux qui en étaient issus, une carrière accélérée. Je ne m’attendais pas à cet environnement codifié, hiérarchisé en toute chose, à la longue, éreintant.
Une carrière comme une succession de non-choix
J’occupais un poste où je devais coordonner le déploiement de politiques internes dans des filiales disséminées un peu partout sur la planète. L’équipe était réduite, notre responsable pensait qu’avec trois cotons-tiges on pouvait construire cinq Tour Eiffel.
Je n’aimais ni ne détestais ce que je faisais. C’était le résultat de successions de non-choix, le premier remontait au lycée : bac scientifique pour m’ouvrir toutes les portes. Une fois ces dernières grandes ouvertes, viennent les études supérieures, raisonnables. Le premier boulot, conséquence des non-choix précédents. La carrière, enchaînement de ce qui précède.
Était-ce la mer à boire ? Nous sommes nombreux à ne pas fixer un verdict catégorique sur notre travail. C’est un équilibre entre ce qui pèse et ce qui plait.
Vient le jour où l’équilibre ce rompt, la peine l’emporte sur le plaisir. On ne réagit pas tout de suite. On tient. On sent la fatigue tout envahir. On tient. On se projette aux prochaines vacances. On se dit qu’on repartira du bon pied ensuite.
De l’usure en milieu corporate
Je me souviens parfaitement du déclic.
C’était à l’été 2016. Trois jours après mon retour de congés, j’étais dans le même état de fatigue qu’avant mon départ. J’ai compris que mon épuisement était mental, non physique. J’étais usée par mon environnement professionnel, usée par des pratiques et des comportements à l’encontre des valeurs brandies par la boîte, désabusée par l’omniprésence de discours corporate qui prennent les collaborateurs pour des attardés mentaux.
En cet été 2016, rien n’allait. J’avais commencé à écrire un roman fondé sur mes années d’expériences et d’observations en entreprise. J’avais le titre : « La jeune cadre dynamique qui voulait conquérir le monde », mais pas de fin. Celle que j’avais écrite, je l’avais jetée à la poubelle. Je ne voyais pas quoi faire de mon personnage principal, une jeune cadre qui se pose mille questions sur son avenir. Un suicide en mode « CAC40 m’a tuée » ? J’y ai pensé. L’option était peut-être un peu trop nihiliste.
Une discussion avec ma sœur m’a permis de rebondir. Un coach. C’est la mode en ce moment, il en fleurit de partout, qui n’ont que les mots reconversion et bienveillance à la bouche, qui vous promettent qu’au bout de trois séances, vous aurez percé le dessein qu’une puissance divine a tracé pour vous. Et qui finissent par vous laisser en rase campagne, vos interrogations intactes, votre portefeuille entamé. J’étais donc sceptique, mais ce coach était recommandé par ma sœur. Donc…
Le temps de se mettre à table
J’ai fait le chemin.
Et je souhaite que tous ceux qui se demandent ce qu’ils font là, à la Défense ou ailleurs, fassent le même. Soyons clairs : peu de personnes réussissent un virage à 180° en deux coups de cuillères à pot. Il existe tant de freins, endogènes, exogènes, à commencer par le plus évident : partir oui, mais pour faire quoi ?
Loin des discours culpabilisants type : « Ben ok, t’es pas heureux, mais réfléchis à ce que tu veux faire ! C’est pas compliqué ! », ce coach m’a aidée à tout poser sur la table. C’est le boxon au départ, mais lentement les choses se décantent. Comme les bons vins, cela prend du temps, il faut le savoir, être prêt à ramer. Et finalement, ce n’est pas désagréable de se placer au centre de toutes choses. Cela met dans un état d’esprit plus positif.
J’ai ainsi pu achever mon roman « La jeune cadre dynamique qui voulait conquérir le monde ». Il a été publié aux éditions Robert Laffont en avril dernier. Avec une fin plus optimiste qu’un hara-kiri du personnage principal. Vous qui aspirez à fuir la Défense, je crois que ce roman peut vous donner des clés.
De l’art de se consacrer à la dernière ligne de son CV
J’avais par ailleurs une passion inavouée pour le foot féminin. J’aimais, n’en faisais rien. Ce n’était que la toute dernière ligne de mon CV, écrite en police 7, pour laisser les hobbies à leur juste place. J’ai décidé d’y consacrer une part croissante de mon temps. A mon âge et à l’heure qu’il est, il est trop tard pour tenter une carrière de footballeuse professionnelle. Alors j’écris. J’écris sur le foot féminin, en particulier sur l’Olympique Lyonnais et ses (innombrables) victoires, j’écris mes humeurs et autres billets pour des sites qui conjuguent le ballon rond au féminin. Avec la Coupe du Monde qui se profile l’année prochaine, j’ai bien d’autres projets. On en parle quand vous voulez !
Le foot féminin est pour l’heure un morceau à part de ma vie professionnelle. Les deux coexistent, ne se rencontrent pas (encore). J’ai changé d’entreprise il y a quelques mois, étape intermédiaire indispensable pour peaufiner mon projet de carrière qui se consacrera au foot féminin et à son essor en France et dans le monde entier. Et ça me passionne à 10 000%.
Fuir la Défense est aisé, il suffit d’un coup de RER (hors jours de panne technique), de métro, tram ou transilien (hors grève).
Fuir durablement la Défense est sans doute plus ardu, si vous souhaitez tracer votre propre route, votre propre vie. Loin des choix de carrière par défaut, des changements de poste rasoirs, dont on prétend se réjouir.
Je suis pour ma part au milieu du gué : j’ai quitté la rive Courbevoie Puteaux Nanterre, devant moi se dessine un autre rivage, aux contours chaque jour plus nets. Nous sommes des milliers (des millions ?) à hésiter à se jeter à l’eau, ou à tremper un orteil avant de rebrousser chemin. Il faut plonger dans ce fleuve intranquille, s’accrocher. Terre en vue !
C’est pour tous ceux qui pourraient se décourager que je voulais partager mon expérience.
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