Il quitte la banque d’affaire pour donner une deuxième vie aux invendus

Après 5 ans en banque d’affaire, Jean Moreau lance PHENIX qui a pour vocation de donner une deuxième vie aux produits invendus et de transformer les déchets en « or ». 

(Vous avez un témoignage de reconversion à partager ? Ecrivez-nous, on en parle et on publie) 

 

A quoi ressemblait votre vie d’avant ?

Ma (non)-vie d’avant ressemblait à celle d’un jeune diplômé ayant rejoint dès sa sortie d’école les rangs d’une grande banque d’affaires américaine.

Après 10 applications en ligne, 15 lettres de motivations (‘best-of’ de celles récupérées à droite à gauche)  et autant d »essais » en 1 500 caractères, quelques ‘Control H’ bien sentis, 3 tests de logique, 8 entretiens, 1 « Assessment Center » à Londres, 6 mois de stage ponctués de quelques nuits blanches et autres humiliations: BOOOOMMM, j’obtenais officiellement la carte de visite tant attendue: ‘Investment Banking – M&A Analyst’.

 

  • Côté pile:

– Chemises sur mesure et boutons de manchette

– Taxis G7 et plateaux de sushis

– Bureaux prestigieux & bonus confortables

– Sélectivité, formation d’élite et enjeux stratégiques

– Confidentialité, urgence et adrénaline

 

  • Côté face:

– Chemises pas repassées et bouton de manchette perdu dans le métro après une nuit de 2h

– Le chauffeur de taxi toujours là pour te truffer et débarquer avec déjà 17€ au compteur

– Grains de riz et sauce sucrée séchés sur mon clavier le soir à 22h

– Diagramme en camemberts et recherches dans des rapports annuels de 1994

– BlackBerry 24h/24, dictature du client & « Please do ASAP »

 

J’en rajoute évidemment.

Pour être honnête je n’étais pas fondamentalement malheureux. L’équipe était, à quelques exceptions près, authentiquement sympa. L’ambiance très correcte. La charge de travail évidemment dense mais acceptable compte tenu du niveau de rémunération. Et elle allait en s’améliorant au fil des ans et de la ‘seniorité’ (cette phrase étant valable pour les 2 éléments précédemment cités.)

Certes les sujets de conversation à la cantine ne tournaient pas tous les jours autour de ‘La Critique de la Raison Pure’ ou des enjeux géopolitiques en Mer Baltique mais soit. La formation était effectivement de qualité et les progrès remarquables. J’apprenais à travailler, à travailler vite et bien. J’étais mis dans de bonnes conditions pour « délivrer ». Pour « circuler » des docs « clean », pour « shooter » des BP « consistent ».

Autant de mots-clés du champ lexical du ‘banker’, tenant une place quasiment équivalente à celle qu’occupait le concept de « problématique » au cours des non-moins délicieuses années prépa.

Donc ambiance ok, formation ok, rapport qualité / prix ok.

Mais alors qu’est-ce qui cloche ? Un caprice de sale gosse qui cherche la petite bête quand tout va bien par ailleurs ? Je me pose trop de questions et je devrais me satisfaire de la situation ‘en or’ dont je bénéficie ?

Reste qu’au-delà des horaires souvent absurdes, le métier manquait de sens à mes yeux. Voire défiler des tableaux de chiffres et des liasses fiscales scannées, pondre des modèles Excel de 25 onglets, s’évertuer à faire fusionner des boîtes dont on n’a qu’une idée partielle de produits et de la réalité économique, subir les sautes d’humeur de managers ultra-zélès et dont l’état d’épanouissement ne saute pas aux yeux: tout ça ne me rendait pas 100% heureux. Et ça me prenait la tête, parfois un peu trop.

Ma démarche a donc été celle d’une quête de sens: comment mettre les compétences acquises au sein de cette exigeante structure au service d’un projet plus utile, d’une cause plus ‘noble’ ? Sans pour autant être dans l’illusion de pouvoir changer le monde. Mais prendre conscience que l’activité professionnelle occupe plus de 90% du temps utile de chaque pu***n de journée. Et qu’elle ne peut pas se réduire à un sacerdoce ou à un gagne-pain en vue de la sortie du tunnel que constituent le week-end (quand il n’est pas passé au bureau) et les 3 maigres semaines de vacances estivales, quand elles ne sont pas rognées ou annulées par la pseudo finalisation d’une transaction fantôme.

J’ai donc commencé à parcourir les profils LinkedIn de mes contacts, essayé de trouver des profils inspirants et des jobs plus sexys et plus épanouissants. Puis j’ai tâché d’avancer vers une conception du travail plus libératrice qu’aliénante (ce qui pourrait d’ailleurs faire un excellent sujet de philo pour le bac ES 2015), tenté de me construire un parcours moins balisé et plus original, en y injectant dans la mesure du possible une dose d’intérêt général. Certains diront que j’ai voulu me racheter une âme après avoir vendu la mienne pendant 5 ans à la caricature du capitalisme. Ce n’est sans doute pas faux, mais j’ai au moins la relative satisfaction de l’avoir vendue au prix fort (big up aux auditeurs qui nous lisent !).

 

 

Quel a été l’élément déclencheur ?

Le sentiment d’être un petit hamster dans une roue.

Un petit hamster qui pédale en attendant son salaire, son bonus, son intéressement, sa participation, ses notes de frais, et ses 3 semaines de congés payés.

Une prise de conscience progressive de l’intérêt limité que j’accordais à ces présentations PowerPoint à peine lues, à ces tableaux Excel qui ne veulent pas dire grand chose, à certains excès de la chaîne de commande hiérarchique.

C’est sans doute au cours de l’une de ces réunions parfois aberrantes que j’ai réalisé la relative vacuité de mes journées, que je me suis posé les questions type: « A quoi tu sers ? Est-ce que tu veux ressembler à ces gens-là dans 10 ans ? Seras-tu fier de toi quand tu te réveilleras dans 20 piges et que tu regarderas derrière toi ? »

C’est là que j’ai cherché à fuir la prison dorée dans laquelle je m’étais moi-même enfermé comme un grand, en suivant tous les réflexes qui viennent naturellement quand on gagne pas mal d’argent sans avoir véritablement le temps de le dépenser: surpayer trop tôt un appartement, contracter un prêt immobilier asphyxiant et que seul un salaire de banquier peut assumer, investir et prêter de l’argent, s’habituer à un confort et à un train de vie irrationnels, …

C’est à partir de là qu’a débuté ma volonté de changement, et que, sans renier mon passé ni ces expériences structurantes, j’ai commencé à me dire: « Ok, tu as passé 5 ans ici, c’était cool, tu as appris plein de choses et pris ce qu’il y avait de bon à prendre. Maintenant comment mettre ça à profit pour avoir un minimum d’impact positif au quotidien. » Et se rapprocher d’un job qui serait davantage un métier à vocation comme peuvent l’être ceux d’enseignant, d’avocat ou de médecin, et qui sont malheureusement plus rares parmi le champ des possibles en sortant d’une école de commerce.

Et ce sentiment-là était mêlé à trois autres réflexions :

  • overdose de travail en général (2 ans de prépa, plusieurs diplômes, des stages, 5 ans de banque d’affaires, …) è time to relax, on pose les crayons.
  • arrêter de toujours vouloir ‘sacrifier’ le présent pour préparer le lendemain« Il faut bien travailler à l’école pour aller dans un bon lycée, puis être sérieux au lycée pour être pris dans une bonne prépa, puis mettre les bouchées doubles en prépa et sacrifier deux ans pour intégrer une bonne école, puis travailler dur en banque pendant 5-6 ans parce qu’après ce sera plus cool et jackpot, … », et ainsi de suite « à l’infini, et au-delà ».
  • pas besoin d’un tel niveau de salaire pour bien vivre et être heureux. Ne nous accrochons pas à cette situation pour de mauvaises raisons.

A un moment, n’est-il pas temps de baisser un peu le chauffage et d’enclencher le mode Carpe Diem ?

 

Et maintenant ?

Bah la vérité c’est que maintenant je bosse autant qu’avant. Voire plus…

Mais que je m’épanouis bien plus en tant qu’entrepreneur avec un associé et une équipe qui cartonnent, sur un sujet de société passionnant qu’est la réduction du gaspillage. Avec des journées qui se suivent sans se ressembler.

On a ainsi créé la startup PHENIX, (page Facebook à Liker et à partager au plus vite), qui a pour mission de donner une 2ème vie aux produits invendus, et faire de la poubelle l’exception plutôt que la règle.

Grosso modo, on agit comme des alchimistes, qui transformons les surplus et déchets en or:

  • en don aux associations caritatives quand il s’agit de produits consommables ou non-alimentaires,
  • en nourriture animale quand le produit est impropre à la consommation humaine, en revente à des destockeurs,
  • en compost ou méthanisation.

Nous sommes des créateurs de filières de revalorisation, pour des produits qui jusqu’à présent partaient en destruction.

Beaucoup de boulot donc, pas mal de stress et d’ascenseur émotionnel, moins de confort matériel et de garanties, mais une bonne dose de satisfactions au quotidien, l’impression de prendre une nouvelle dimension et la fierté d’avoir une activité un minimum utile et dont l’impact s’avère concret et tangible.

Tout n’est évidemment pas rose et il n’y a pas d’un côté le vilain salariat et de l’autre la vie rêvée d’entrepreneur, mais pas de regret pour moi: mes journées correspondent davantage à mes aspirations, mes valeurs et mon état d’esprit.

Il ne faut donc pas fuir pour fuir mais si vous ne vous sentez pas complètement à votre place et que vous avez quelque-chose en tête allez-y avant qu’il ne soit « too late to apologize » !

 

Tampon_Produits

 

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